DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 31599/96

présentée par Jacques CHEMINADE

contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 26 janvier 1999 en présence de

Sir Nicolas Bratza, président,

M. J.-P. Costa,

M. L. Loucaides,

M. P. Kūris,

Mme F. Tulkens,

M. K. Jungwiert,

Mme H.S. Greve, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section ;

Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 5 avril 1996 par Jacques CHEMINADE contre la France et enregistrée le 28 mai 1996 sous le n° de dossier 31599/96 ;

Vu les rapports prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 12 février 1998 et les observations en réponse présentées par le requérant le 29 mai 1998 ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

 

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant français né en 1941 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Maître Armelle de Coulhac-Mazérieux, avocate au barreau de Paris.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Circonstances particulières de l’espèce

Ayant réuni, conformément à la loi organique du 13 janvier 1988, plus de 500 signatures d'élus, le requérant décida de se présenter à l'élection présidentielle de 1995.

Par décision du 6 avril 1995, le Conseil Constitutionnel retint sa candidature et, en sa qualité de candidat, l'Etat lui versa une avance d'un million de francs sur le remboursement forfaitaire des dépenses de campagne, dont le plafond est fixé à 90 000 000 F pour chaque candidat et à 120 000 000 F pour les candidats présents au second tour de l'élection.

Lors du premier tour de l'élection présidentielle, qui eut lieu le 23 avril 1995, le requérant obtint 84 959 voix, soit 0,28% des suffrages exprimés. Il ne participa pas au deuxième tour de l'élection, qui eut lieu le 7 mai 1995.

Conformément à l’article L. 52-12 du Code électoral, qui prévoit que le compte de campagne doit être déposé dans un délai de deux mois suivant le deuxième tour de l'élection, le requérant déposa auprès du Conseil Constitutionnel, le 7 juillet 1995, son compte de campagne. En réponse aux demandes des rapporteurs chargés de l’examen de son compte en date des 27 juillet et 15 septembre 1995, le requérant apporta les renseignements et pièces sollicités les 17 août et 25 septembre 1995.

Le compte du requérant fit apparaître des dépenses électorales à  hauteur de 4 718 018 francs et des recettes à hauteur de 4 718 040 francs. Les recettes se décomposaient comme suit : une avance de l’Etat d’un million de francs, 350 000 francs d’emprunts bancaires, 359 500 francs sous forme d’avance du parti « Fédération pour une nouvelle solidarité », 2 980 990 francs de prêts accordés par des personnes physiques dont 2 340 990 francs consentis à titre gratuit et 27 550 francs de dons.

Il ressort des documents fournis par le requérant que celui-ci avait personnellement contracté un emprunt de 200 000 francs auprès d'une banque et que celui-ci « devait être amorti par le remboursement du compte de campagne ».

Les prêts d’un montant total de 2 980 990 francs furent accordés par vingt-neuf personnes physiques sur la période courant du 10 février au 6 juillet 1995. A l’exception de trois d’entre eux, ces prêts qui ne prévoyaient pas d’intérêts à percevoir sur les sommes prêtées, furent consentis à titre gratuit et prévoyaient un remboursement intégral après obtention du remboursement forfaitaire prévu par la loi dans le cadre des élections présidentielles. Les contrats de prêts furent transmis par le requérant après le dépôt de son compte de campagne afin de se conformer aux réclamations des rapporteurs.

Les recettes des autres candidats à l'élection présidentielle se montaient, pour les candidats présents seulement au premier tour, à  environ 7 200 000 F pour Mme Voynet, 11 300 000 F pour Mme Laguiller, 24 000 000 F pour M. de Villiers, 41 700 000 F pour M. Le Pen, 50 000 000 F pour M. Hue et 91 000 000 F pour M. Balladur. Pour les deux candidats présents au second tour, les recettes figurant dans leur compte de campagne se montaient à environ 89 000 000 F pour M. Jospin et à 120 000 000 F pour M. Chirac.

L'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République au suffrage universel, telle que modifiée par la loi organique du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique, prévoit qu'une somme égale à 8% du plafond des dépenses (soit au maximum 7 200 000 F) est remboursable à titre forfaitaire à chaque candidat qui n’a pas obtenu plus de 5% du total des suffrages exprimés au premier tour.

Ce remboursement forfaitaire ne peut toutefois excéder le montant des dépenses du candidat, telles que retracées dans son compte de campagne. Aucun remboursement n’est en revanche effectué aux candidats dont le compte de campagne est rejeté.

En l’espèce, par décision du 11 octobre 1995, le Conseil Constitutionnel qui, pour la première fois, en vertu de la loi organique du 19 janvier 1995, avait compétence pour approuver, rejeter ou réformer les comptes de campagne des candidats à une élection présidentielle, rejeta le compte de campagne du requérant, au motif que :

« Considérant qu’il ressort de l’examen du compte de campagne déposé par le candidat que celui-ci a bénéficié de sommes d’un montant total de 2 340 990 francs, déclarées comme étant des prêts consentis à titre gratuit par des personnes physiques ; qu’il résulte de l’instruction que cette source de financement, à concurrence de 1 711 450 francs, soit plus du tiers de l’ensemble des recettes déclarées, provient de vingt et un contrats conclus postérieurement au 7 mai 1995 ; que compte tenu de l’importance de ces ressources dans le financement de la campagne, l’absence de stipulation d’intérêts a, en l’espèce, constitué au profit du candidat un avantage qui doit être assimilé à un don en vertu de l’article L. 52-17 du Code électoral ; qu’eu égard à la date des conventions dont il s’agit, à l’importance et au caractère systématique des avantages ainsi consentis, le compte de campagne doit être regardé comme ayant été établi en méconnaissance des articles L. 52-4, L. 52-5, L. 52-6 et L. 52-8 du Code électoral et doit par la suite être rejeté ».

Le requérant se vit donc privé de la possibilité d'obtenir, au titre du remboursement forfaitaire, le remboursement de ses dépenses électorales d'un montant de 3 690 490 F et un ordre de restitution du montant d'un million de francs de l'avance de l'Etat sur ce remboursement lui fut notifié le 18 octobre 1995 par le ministère de l'Intérieur.

Le 10 avril 1996, le Trésor public adressa au requérant un commandement de payer, qui demeura infructueux. Le 26 juillet 1996, un huissier de justice dressa un procès-verbal de saisie en vue de la vente des biens meubles garnissant son domicile, à savoir une armoire de style, un bureau, une banquette, un fauteuil, un paravent et environ 500 livres.

Le 20 août 1996, le requérant saisit le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Paris pour faire valoir, d’une part, que certains biens saisis étaient en réalité insaisissables, et, d'autre part, qu'il devait bénéficier d'une suspension de la mesure d'exécution forcée jusqu’à intervention de la décision de la Commission sur les violations de la Convention alléguées dans la présente requête.

Par ailleurs, le 2 août 1996, le Trésor public procéda à deux saisies-attribution des sommes disponibles sur les comptes bancaires du requérant.

2.  Droit interne pertinent

- Article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République au suffrage universel, tel que modifié par l'article unique de la loi organique du 19 janvier 1995 :

« Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées par les articles (...) L. 52-4 à L. 52-11, L. 52-12, L. 52-16 du Code électoral (...), sous réserve des dispositions suivantes :

Le plafond des dépenses électorales prévu par l'article L.52-11 est fixé à 90 millions de francs pour un candidat à l'élection du président de la République. Il est porté à 120 millions de francs pour chacun des candidats présents au second tour.

Le compte de campagne et ses annexes sont adressés au Conseil Constitutionnel dans les deux mois qui suivent le tour de scrutin où l'élection a été acquise (...).

Le montant de l'avance (...) doit figurer dans les recettes retracées dans le compte de campagne.

Lors de la publication de la liste des candidats au premier tour, l'Etat verse à chacun d'entre eux une somme d'un million de francs à titre d'avance sur le remboursement forfaitaire de leurs dépenses de campagne prévu à l'alinéa suivant. Si le montant du remboursement n'atteint pas cette somme, l'excédent fait l'objet d'un reversement.

Une somme égale au vingtième du montant du plafond des dépenses de campagne qui leur est applicable est remboursée, à titre forfaitaire, à chaque candidat ; cette somme est portée au quart dudit plafond pour chaque candidat ayant obtenu plus de 5% du total des suffrages exprimés au premier tour. Elle ne peut excéder le montant des dépenses du candidat retracées dans son compte de campagne [pour l'application de cet alinéa de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République qui suivra la publication de la présente loi organique, et à titre dérogatoire, les proportions du vingtième et du quart du plafond des dépenses électorales sont portées respectivement à 8% et 36% dudit plafond].

Le remboursement forfaitaire prévu à l'alinéa précédent n'est pas effectué aux candidats (...) dont le compte de campagne a été rejeté. » 

- Code électoral

Article L. 52-4

« Pendant l'année précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où l'élection a été acquise, un candidat à cette élection ne peut avoir recueilli des fonds en vue du financement de sa campagne que par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné par lui (...). »

Article L. 52-6

« Le mandataire financier ne peut recueillir de fonds que pendant la période prévue à l'article L.52-4. »

Article L. 52-8

« Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d'un ou plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 30 000 F. »

Article L. 52-12

« Chaque candidat (...) est tenu d'établir un compte de campagne retraçant selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle, par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L.52-4 (...). Le compte de campagne doit être en équilibre ou en excédent et ne peut présenter de déficit. »

Article L. 52-17

« Lorsque le montant d’une dépense déclarée dans le compte de campagne ou ses annexes est inférieur aux prix habituellement pratiqués, [le Conseil Constitutionnel] évalue la différence et l'inscrit d'office dans les dépenses de campagne, après avoir invité le candidat à produire toute justification utile à l'appréciation des circonstances. La somme ainsi inscrite est réputée constituer un don, au sens de l'article L.52-8, effectué par la ou les personnes physiques concernées. [Le Conseil] procède de même pour tous les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont a bénéficié le candidat. »

Observations du Conseil Constitutionnel relatives à l'élection présidentielle des 23 avril et 7 mai 1995, J.O du 15 décembre 1995 :

« 2. Prise en compte des recettes

b) Le Conseil Constitutionnel relève également que dans certains cas des versements de fonds ont été déclarés comme provenant de prêts consentis par des personnes physiques. De tels prêts, qui peuvent en partie correspondre à de véritables dons en l'absence de stipulation d'intérêts ou lorsque les intérêts prévus sont d'un montant inférieur aux taux pratiqués sur le marché monétaire, rendent aléatoire tout contrôle ; le conseil n'est d'ailleurs pas en mesure de s'assurer, une fois le compte arrêté, que les remboursements prévus sont réellement opérés. Or, à défaut, les versements dus par l'Etat peuvent être générateurs d'un enrichissement sans cause du candidat. Il apparaît donc souhaitable que les personnes physiques ne puissent consentir que des dons dans les limites fixées par la loi, à l'exclusion de tout prêt. »

GRIEFS

1. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant met en cause l'équité de la procédure devant le Conseil Constitutionnel et son impartialité. Il fait valoir que le président du Conseil Constitutionnel, M. Roland Dumas, ne pouvait être impartial, dans la mesure où il avait, en qualité d'avocat à l'époque, défendu en 1982 un journal satirique que le requérant avait attaqué en diffamation. Le requérant se plaint également de l'absence d'audience publique devant le Conseil Constitutionnel, de n'avoir jamais été entendu personnellement, du non-respect du contradictoire et des droits de la défense.

2. Invoquant les articles 10 et 14 de la Convention, le requérant se plaint également de ce que la décision du Conseil Constitutionnel du 11 octobre 1995 ainsi que celle du ministère de l'Intérieur du 18 octobre 1995 seraient constitutives d'une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, fondée sur une discrimination politique.

Il relève qu'il a été le seul candidat dont le compte de campagne a été rejeté et soutient qu'il y a eu de ce fait rupture de l'égalité de traitement entre les candidats à l'élection. Le requérant fait également valoir que la décision de rejet de son compte de campagne par le Conseil Constitutionnel n'avait aucun fondement, ni juridique ni factuel, et qu’elle repose sur une dénaturation abusive des règles de droit interne en matière de financement des campagnes électorales, que le Conseil Constitutionnel était chargé  d'appliquer pour la première fois. La « sanction », qui lui a été ainsi infligée, n'était, selon le requérant, ni « prévisible » ni « nécessaire » dans une société démocratique, au sens de l'article 10 § 2 de la Convention.   

3. Le requérant estime en outre que la décision précitée du Conseil Constitutionnel et l'ordre subséquent de restitution du ministère de l'Intérieur portent atteinte au droit au respect de ses biens, en violation de l'article 1 du Protocole N° 1. Il souligne qu'il est dépourvu de toute fortune personnelle et se trouve acculé à la ruine puisqu'il doit non seulement rembourser à l'Etat l'avance d'un million de francs, mais aussi l'emprunt de 200 000 F qu'il avait personnellement contracté ainsi que la somme d'environ 3 500 000 F, qui lui avait été prêtée par diverses personnes physiques pour financer sa campagne.

4. Enfin, le requérant se plaint d’une violation de l'article 13 de la Convention. En effet, en vertu de l'article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Le requérant en conclut qu’il ne bénéficie d’aucun recours effectif, ni pour contester la décision rendue en premier et dernier ressort par le Conseil Constitutionnel, ni pour contester l’ordre de restitution de l'avance d’un million de francs émanant du ministère de l’Intérieur, qui ne fait en la matière qu’exécuter la décision du Conseil Constitutionnel.

PROCEDURE

La requête a été introduite le 5 avril 1996 et enregistrée le 28 mai 1996.

Le 10 septembre 1997, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 12 février 1998, après prorogation du délai imparti et le requérant y a répondu le 29 mai 1998, également après prorogation du délai imparti.

A compter du 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, et en vertu de l’article 5 § 2 de celui-ci, la requête est examinée par la Cour conformément aux dispositions dudit Protocole.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint de l'absence d'équité de la procédure suivie devant le Conseil Constitutionnel pour l'examen de son compte de campagne, du manque d'impartialité de son président et de l'absence d'audience publique. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention qui dispose :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

A. Argumentations des parties

Le Gouvernement soutient que l’article 6 § 1 de la Convention est inapplicable à la procédure de contrôle des comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle, celle-ci n’ayant pour objet ni une contestation sur des droits et obligations de caractère civil ni le bien-fondé d’une accusation en matière pénale.

Il estime, tout d’abord, que la procédure litigieuse ne peut avoir pour objet une contestation sur des droits et obligations de caractère civil, le contentieux électoral échappant par principe au champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.

En effet, il ressort de la jurisprudence que les organes de la Convention ont de la matière civile une conception autonome, matérielle, s’attachant au « caractère du droit qui se trouve en cause » (cf. Cour eur. D.H., arrêt König c. Allemagne du 28 juin 1978, série A n° 27, p. 30, § 90) et non « à la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée (loi civile, commerciale, administrative, etc.) et [à] celle de l’autorité compétente en la matière (juridiction de droit commun, organe administratif, etc.) » (cf. Cour eur. D.H., arrêt Ringeisen c. Autriche du 16 juillet 1971, série A n° 13, p. 39, § 94) ce qui permettrait en l’espèce d’exclure l’applicabilité de l’article 6, la contestation de la régularité d’une élection mettant en cause des droits et obligations à caractère politique, c’est-à-dire attachés aux individus en leur qualité de citoyens et non de personnes privées.

Le Gouvernement note que la Cour tire de manière constante les conséquences de cette réalité pour affirmer que le contentieux électoral échappe au champ d’application de l’article 6 § 1 dans son aspect civil. Ainsi le Gouvernement rappelle que dans sa décision Desmeules c. France (N° 12897/87, déc. 13.4.89) relative à une procédure suivie devant le Conseil constitutionnel français, lequel s’était prononcé sur le droit d’un candidat d’une liste électorale à se présenter à une élection législative, la Commission a affirmé que « la procédure en cause portait sur une contestation relative au droit du requérant d’élire et de se porter candidat (...). [La Commission] estime que ces droits, droits politiques par excellence, ne sauraient être considérés comme étant de ‘caractère civil’ au sens de l’article 6 § 1 de la Convention ». De même le Gouvernement entend se référer à la décision Estrosi c. France de la Commission (N° 24359/94, déc. 30.6.95) dans laquelle la Commission a affirmé que « le contrôle de la régularité d’une élection a pour objet les conditions d’exercice d’un droit de caractère politique et ne porte pas sur des droits et obligations de caractère civil ».

En outre, le Gouvernement rappelle que dans son arrêt Pierre-Bloch c. France (Cour eur. D.H., arrêt du 21 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI), la Cour est venue confirmer cette jurisprudence en jugeant que l’article 6 § 1 ne s’appliquait pas à la procédure litigieuse. En effet, il relève que la Cour affirma que le droit de se porter candidat à une élection est un droit de caractère politique et non civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, « de sorte que les litiges relatifs à l’organisation de son exercice - tels ceux portant sur l’obligation des candidats de limiter leurs dépenses électorales - sortent du champ d’application de cette disposition » (p. 2223, § 50).

Le Gouvernement note également que la Cour, tout en retenant que « la procédure devant la commission nationale des comptes de campagne n’est pas détachable de celle devant le Conseil constitutionnel » affirma que « l’aspect patrimonial de la procédure litigieuse ne confère pas pour autant à celle-ci une nature civile » (p. 2223, § 51). La Cour estimerait donc que l’impossibilité d’obtenir le remboursement des dépenses de campagne et l’obligation de verser au Trésor public une somme équivalente au dépassement sont des corollaires de l’obligation de limiter les dépenses électorales et relèvent de l’organisation de l’exercice du droit litigieux.

Enfin, le Gouvernement estime que, par cet arrêt, la Cour a confirmé sa jurisprudence selon laquelle un contentieux n’acquiert pas une nature civile du seul fait qu’il soulève aussi une question d’ordre économique. Il se réfère à cet égard aux arrêts Schouten et Meldrum c. Pays-Bas et Neigel c. France (Cour eur. D.H., arrêts du 9 décembre 1994, série A n° 304 et du 17 mars 1997, Recueil 1997-II) qu’il estime applicable en l’espèce, c’est-à-dire à la procédure de contrôle des comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle.

En effet, si le Gouvernement ne conteste pas qu’il y eut, en l’espèce, litige et que la procédure de contrôle du compte de campagne du requérant avait pour celui-ci une dimension patrimoniale puisque le rejet de ce compte a eu pour conséquence l’impossibilité pour le requérant d’obtenir le remboursement de ses dépenses et l’obligation de rembourser au Trésor l’avance d’un million de francs qui lui avait été faite, il estime néanmoins, que cet aspect patrimonial ne saurait conférer pour autant à la procédure une nature civile au sens de l’article 6 § 1 de la Convention puisque, à l’instar de l’appréciation de la Cour dans l’affaire Pierre-Bloch, le droit du requérant de se porter candidat à l’élection présidentielle et d’obtenir à ce titre une avance sur le remboursement forfaitaire de ses dépenses électorales, est un droit de caractère politique et non civil au sens de la Convention.

Les conséquences du rejet du compte de campagne du requérant ne seraient que des corollaires de l’obligation de limiter les dépenses électorales et relèveraient de l’organisation de l’exercice du droit litigieux. A cet égard le Gouvernement se réfère à l’arrêt Schouten et Meldrum dans lequel la Cour affirma qu’ « il n’est pas (...) suffisant en soi de démontrer qu’un litige est de nature patrimoniale. Il peut exister des obligations  patrimoniales qui, aux fins de l’article 6 § 1, doivent passer pour relever exclusivement du domaine du droit public et ne sont, en conséquence, pas couvertes par la notion de droits et obligations de caractère civil. Hormis les amendes imposées à titre de sanction pénale, ce sera le cas en particulier lorsqu’une obligation qui est de nature patrimoniale résulte d’une législation fiscale ou fait autrement partie des obligations civiques normales dans une société démocratique » (Cour eur. D.H., arrêt précité, p. 21, § 50).

Le Gouvernement estime que cette jurisprudence est applicable en l’espèce car l’obligation de rembourser au Trésor public l’avance faite sous condition du respect des dispositions légales qui régissent les comptes de campagne apparaît bien comme une obligation civique normale pesant sur le citoyen candidat, destinée à assurer la transparence et le caractère démocratique des élections.

Le Gouvernement considère, ensuite, que le requérant ne saurait prétendre avoir fait l’objet d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

A cet égard le Gouvernement se réfère à l’arrêt Pierre-Bloch dans lequel la Cour examina si l’existence d’une « accusation », sous-jacente à la procédure litigieuse, avait trait ou non à la matière pénale. Dans cet arrêt le Gouvernement note que la Cour apprécia la qualification juridique et la nature de l’infraction en droit français ainsi que la nature et le degré de sévérité de la sanction.

S’agissant de la qualification juridique de l’infraction en droit français et de sa nature, le Gouvernement soutient que, mutatis mutandis, la solution de l’arrêt Pierre-Bloch doit être retenue en l’espèce. En effet, le Gouvernement note que les exigences relatives à l’établissement des comptes de campagne, le système de contrôle de ces dépenses et l’obligation de rembourser au Trésor public l’avance de l’Etat ainsi que l’impossibilité d’obtenir le remboursement forfaitaire des dépenses électorales ne relèvent pas du droit pénal mais du droit des élections.

Par ailleurs, le Gouvernement rappelle que la somme que le requérant a été tenu de verser au Trésor public correspond à l’avance d’un million de francs qui lui avait été préalablement versée. Il s’agirait donc bien du remboursement à la collectivité d’une somme dont le candidat a indûment tiré avantage pour solliciter les suffrages et qui se rattacherait donc de la sorte aux mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections présidentielles et en particulier l’égalité des candidats. On ne saurait donc, selon le Gouvernement, assimiler cette obligation de remboursement à une amende. En outre, cette obligation de rembourser le Trésor public ne serait pas inscrite au casier judiciaire, ne serait pas soumise au principe de non-cumul des peines et ne pourrait donner lieu, en cas de non paiement, à l’utilisation de la contrainte par corps.

Le requérant considère quant à lui que la procédure de contrôle de son compte de campagne relève du champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention dans la mesure où les contestations portaient, en l’espèce, sur son droit à obtenir le remboursement de l’intégralité de ses dépenses électorales par l’Etat français. Il ne saurait donc s’agir, selon lui, d’une contestation portant sur un droit électoral.

En outre, le requérant rappelle que contrairement à la position du Conseil constitutionnel dans l’affaire Pierre-Bloch, celui-ci ne se contenta pas dans la présente espèce d’avoir une approche purement mathématique en faisant de simples constats objectifs des différents postes de son compte de campagne, mais se livra à une redéfinition des postes budgétaires « prêts » et « dons » figurant au compte de campagne en en modifiant la nature juridique.

Le requérant en conclut qu’en se livrant ainsi à une requalification juridique des dons et des prêts, qu’il estime par ailleurs infondée, le Conseil constitutionnel se plaça en conséquence dans la sphère civile et que par cette décision il s’immisçait dans le champ contractuel relevant du droit privé. En effet, cette décision aurait entraîné d’une part, la modification de la nature juridique des relations contractuelles qui unissaient le requérant à ses prêteurs, considérés par le Conseil constitutionnel comme des donateurs et, d’autre part, affecté les modalités d’exécution de toutes les obligations dont il se trouvait débiteur à l’égard de ses cocontractants de droit privé.

Le requérant rappelle que compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, il se trouve dans l’obligation d’assumer seul, sur ses deniers personnels, la charge de l’ensemble de ses dépenses électorales. 

Or le requérant rappelle que s’il n’hésita pas à se porter candidat et à contracter des dettes personnelles pour mener sa campagne présidentielle, ce fut uniquement dans la mesure où cette démarche ne devait l’exposer à aucune charge financière, l’Etat français devant prendre à sa charge l’intégralité des dépenses de campagne.  Au surplus, le requérant affirme que c’est eu égard à l’existence de ce remboursement forfaitaire par l’Etat que les prêteurs se sont engagés vis à vis de lui, ayant ainsi l’assurance d’être remboursés. Il cite à cet égard les termes mêmes des contrats de prêts en cause souscrits auprès des particuliers aux termes desquels on peut lire : « Durée-Remboursement : ce prêt devant être intégralement remboursé après obtention du remboursement forfaitaire prévu par la loi dans le cadre des élections présidentielles ».

De même le requérant rappelle qu’un établissement financier institutionnel ne consentit à lui autoriser un découvert sur son compte bancaire que dans la mesure où celui-ci « devait être amorti par le remboursement du compte de campagne ».

Dès lors, en ruinant la sécurité juridique dont le requérant pensait pouvoir bénéficier, le Conseil constitutionnel aurait trahi la confiance légitime qui l’avait déterminé ainsi que ses cocontractants à s’engager ; le principe de prévisibilité qui doit présider à toute société démocratique s’en serait par là même trouvé bafoué.

Le requérant estime donc que la décision du Conseil constitutionnel qui a ainsi déterminé tant la nature et l’existence que les modalités d’exécution des obligations qu’il avait souscrites envers des personnes de droit privé établirait ainsi l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention. A cet égard, il se réfère à l’arrêt Ringeisen c. Autriche (Cour eur. D.H., arrêt du 16 juillet 1971, série A n° 13, p. 39, par. 94) dans lequel la Cour affirma que « les termes (...) ‘contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil’ couvrent toute procédure dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé. (...). Peu importent dès lors la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée (...) et celle de l’autorité compétente en la matière (...). »

Dès lors, l’obligation à paiement à laquelle le requérant a été soumis en raison de la décision du Conseil constitutionnel revêtait un caractère personnel, patrimonial et subjectif et établirait la nature mixte du présent litige (cf. Cour eur. D.H., arrêt Deumeland c. Allemagne du 29 mai 1986, série A n° 100, p. 25, § 74).

Cette mixité s’avérerait  d’autant plus fondamentale qu’elle distinguerait le présent litige de l’affaire Pierre-Bloch puisque, dans ce dernier cas, le Conseil constitutionnel a déclaré M. Pierre-Bloch inéligible pendant un an et démissionnaire d’office, ce qui signifie que le litige en cause portait sur l’exercice même d’un droit politique.

Or, en l’espèce, si le litige s’inscrit bien dans un contexte politique, puisque né à l’occasion de l’élection présidentielle, il n’en demeure pas moins que ce contexte politique ne suffit pas à donner une nature politique aux contestations en cause (cf. Cour eur. D.H., arrêt Ringeisen, précité). Les droits et obligations du requérant qui se trouveraient en cause seraient dans leur existence, dans leur nature et leur modalité d’exercice de caractère civil, qu’il s’agisse de l’obligation de paiement envers les prêteurs et les fournisseurs, du droit au respect de la patrimonialité et des moyens d’existence ou du droit de jouir d’une bonne réputation.

Par son immixtion dans la sphère contractuelle de droit privé qui unit le candidat à ses cocontractants, le Conseil constitutionnel a dépassé le périmètre du noyau dur, irréductible de l’imperium et a inscrit le litige dans la sphère civile.

En effet, le requérant précise qu’en l’espèce il ne s’agirait nullement de contester son droit politique de conserver un mandat, puisqu’il ne fut pas élu, ni de se représenter à une élection, puisqu’aucune interdiction ne fut prononcée, mais de voir sanctionner le fait que la décision du Conseil constitutionnel a porté atteinte aux relations privées qui l’unissent contractuellement à des personnes de droit privé.

Le requérant rappelle également que la décision du Conseil constitutionnel l’oblige à assumer sur ses seuls deniers personnels 4 690 490 francs, ce qui constituerait une distinction majeure avec l’affaire Pierre-Bloch dans laquelle celui-ci ne fut obligé de verser au Trésor que la somme de 59 572 francs.

Etant dans l’impossibilité de procéder à l’exécution de ces obligations, le requérant rappelle qu’il se trouve de ce fait exposé à des mesures d’exécution coercitives sur son patrimoine et par là même victime d’une atteinte dans ses moyens d’existence (cf. Cour eur. D.H., arrêt Schuler-Zgraggen c. Suisse du 24 juin 1993, série A n° 263 et Feldbrugge c. Pays-Bas du 29 mai 1986, série A n° 99), ce qui conférerait au présent litige un caractère civil. A cet égard, le requérant se réfère à l’arrêt Procola c. Luxembourg (Cour eur. D.H., arrêt du 28 septembre 1995, série A n° 326, p. 14-15, § 38) et à l’arrêt Editions Periscope c. France (Cour eur. D.H., arrêt du 26 mars 1992, série A n° 234-B, p. 66, § 40) dans lesquels la Cour affirma que « l’action [avait] un objet patrimonial et se [fondait] sur une atteinte alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux, nonobstant l’origine du différend et la compétence des juridictions administratives ».

Au demeurant le requérant souligne que la décision du Conseil constitutionnel a porté atteinte à sa réputation puisqu’il ferait désormais figure de mauvais payeur. Cette répercussion établirait de surcroît le caractère civil du présent litige, la Cour ayant considéré dans son arrêt Golder c. Royaume-Uni que le droit de jouir d’une bonne réputation présente un caractère civil (cf. Cour eur. D.H., arrêt du 21 février 1975, série A n° 18, p. 13, § 27, voir également Cour eur. D.H., arrêt Helmers c. Suède du 29 octobre 1991, série A n° 212-A, p. 14, § 27). 

B. Appréciation de la Cour

La Cour note tout d’abord que le requérant prétend que c’est à tort que le Conseil constitutionnel procéda à la qualification de ses recettes, provenant pour l’essentiel de prêts sans intérêts consentis par des particuliers, en dons, entraînant de ce fait le dépassement du plafond autorisé par l’article L. 52-8 du Code électoral des dons consentis par des personnes physiques aux candidats aux élections. Le requérant estime que par cette décision, de nature civile, le Conseil constitutionnel se serait immiscé dans la sphère contractuelle qui l'unissait à ses cocontractants ce qui justifierait, en l’espèce, l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à la procédure litigieuse.

La Cour estime cependant qu’il ne suffit pas d’affirmer, comme en l’espèce, que le Conseil constitutionnel aurait commis une erreur d’appréciation de fait ou de droit, pour conclure à l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention.

En effet, la Cour rappelle que pour que l’article 6 § 1 de la Convention trouve à s’appliquer, la procédure litigieuse doit avoir trait à des « contestation sur [des] droit et obligations de caractère civil ». 

Or, la Cour rappelle que les procédures concernant le contentieux électoral échappent en principe au champ d’application de l'article 6 de la Convention dans la mesure où celles-ci concernent l’exercice de droits à caractère politique et ne portent donc pas sur des droits et obligations de caractère civil (cf. mutatis mutandis Pierre-Bloch c. France, rapport Comm. 1.7.96, 58, Cour eur. D.H., Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2236-2237 et N° 11068/84, déc. 6.5.85, D.R. 43, p. 195). 

En l’espèce, la Cour relève que la procédure litigieuse avait pour objet de vérifier la régularité des comptes de campagne du requérant. Elle note que cette procédure trouve son origine dans le droit du requérant, comme de tout autre citoyen français, de se porter candidat à une élection, en l’occurrence une élection présidentielle. Or, la Cour rappelle que, selon la jurisprudence, le droit de se porter candidat à une élection est un droit de caractère politique et non civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, de sorte que les litiges relatifs à l’organisation de son exercice - tels ceux portant sur la réglementation des dépenses de campagne - sortent du champ d’application de cette disposition (cf. mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Pierre-Bloch, précité, p. 2223, § 50).

Certes, la Cour note que le requérant fait également valoir qu'en rejetant son compte de campagne, le Conseil Constitutionnel trancha une contestation sur un droit de caractère patrimonial, donc civil, puisqu'il se trouve désormais dans l'obligation de rembourser à l'Etat, sur ses propres deniers, l'avance d'un million de francs qu'il avait perçue, comme les autres candidats, conformément à la loi organique du 19 janvier 1995, et qu’il se trouve privé de la possibilité de se faire rembourser par l'Etat le solde des frais réels engagés pour financer sa campagne.

La Cour estime à cet égard que l’éventuelle incidence patrimoniale d’une procédure portant sur les conditions d’exercice d’un droit de caractère politique ne confère pas pour autant à celle-ci une nature « civile » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (cf. mutatis mutandis Cour eur. D.H., arrêts Pierre-Bloch, précité, p. 2223, § 51, et Schouten et Meldrum du 9 décembre 1994, série A n° 304, p. 21, § 50).

En effet, l’impossibilité d’obtenir le remboursement des dépenses de campagne et l’obligation de rembourser au Trésor public l’avance consentie par l’Etat sont des corollaires de l’obligation de limiter les dépenses électorales (cf. mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Pierre-Bloch, précité, p. 2223, § 51).

Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime que les griefs tirés de la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention doivent être rejetés pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

2. Le requérant se plaint que le rejet de son compte de campagne par le Conseil Constitutionnel et l'obligation subséquente de rembourser à l'Etat l'avance d'un million de francs, qui lui avait été consentie pour le financement de sa campagne électorale, sont constitutifs d’une violation des articles 10 et 14 de la Convention.

L'article 10 de la Convention dispose :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publique et sans considération de frontière (...).

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

L'article 14 de la Convention prévoit :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour note d’emblée que le requérant, candidat à l'élection présidentielle de 1995, a eu toute latitude, pendant la campagne électorale qu’il a menée, pour exposer ses idées aux concitoyens dont il sollicitait les suffrages et faire ainsi usage de la liberté d'expression qui lui est reconnue par l'article 10 de la Convention.

Dans l'exercice de cette liberté, la Cour relève que non seulement il n’y eut aucune ingérence d’une autorité publique mais encore que l’Etat a pris des mesures positives pour permettre à tout citoyen, sans considération de fortune, de postuler à la magistrature suprême, puisque la loi organique de 1995 prévoit que les frais de la campagne électorale seront financés, sous certaines conditions, par des fonds publics, y compris au bénéfice des candidats ayant réuni moins de 5 % des voix.

La Cour estime que le requérant ne saurait déduire de cette loi un droit absolu au remboursement par l’Etat, c'est-à-dire par l’ensemble de la collectivité nationale, de ses dépenses électorales.

Quant aux conditions posées par le droit interne pour pouvoir obtenir le remboursement forfaitaire des dépenses de campagne, la Cour estime qu'elle ne constituent nullement, au sens de l'article 10 § 2 de la Convention, des « formalités », « conditions » ou « restrictions » mises à la liberté d'expression des candidats à une élection. Ces conditions, relatives au bon usage des fonds publics affectés au financement des activités politiques, sont fréquentes dans la plupart des Etats contractants et visent à assurer la régularité et la transparence des élections ainsi que, notamment, l'égalité de traitement entre les candidats.

La Cour estime en outre qu’en rejetant le compte de campagne d’un candidat, le Conseil Constitutionnel ne prononce pas, à l'encontre de celui-ci, une « sanction » visant à réprimer un usage excessif de la liberté d'expression. Dans le cadre de sa compétence, le Conseil constitutionnel est uniquement appelé à contrôler a posteriori le respect des règles relatives aux modalités de financement de la campagne électorale menée par le candidat. L’obligation subséquente de remboursement à l'Etat de l’avance reçue en vue du financement de la campagne, en cas de rejet du compte de campagne est expressément prévue par les textes applicables et ne saurait davantage être considérée comme une sanction de l’exercice de la liberté d'expression.

Il ne peut donc être question, en l'espèce, d'une quelconque ingérence dans le droit du requérant à la liberté d'expression, au sens de l'article 10 de la Convention.

Quant à l’allégation du requérant selon laquelle il y aurait discrimination contraire à l’article 14 de la Convention parce qu’il a été le seul candidat dont le compte de campagne a été rejeté, la Cour rappelle que l’article 14 de la Convention n’interdit la discrimination que dans la jouissance des droits et libertés garantis par la Convention (Cour eur. D.H., arrêt Van Raalte c. Pays-Bas du 21 février 1997, Recueil 1997-I, n° 29, § 33). Or la Cour vient de constater qu’il n’y a eu aucune ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant, de sorte que l’article 14 n’entre pas en ligne de compte en l’occurrence.

Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

3. Le requérant se plaint également d'une atteinte au droit au respect de ses biens puisque le rejet de son compte de campagne l'oblige, d'une part, à rembourser à l'Etat l'avance d'un million de francs, et, d'autre part, le prive du droit d'obtenir le remboursement de la totalité de ses frais de campagne. Il invoque l'article 1 du Protocole N° 1 à la Convention, dont la partie pertinente dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.  Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

La Cour relève tout d'abord que la décision du Conseil Constitutionnel n'a aucunement privé le requérant de la propriété d'une somme quelconque, mais a seulement entraîné l'obligation pour le requérant de rembourser à l'Etat l'avance d'un million de francs, parce qu'il ne remplissait pas les conditions légales pour pouvoir prétendre au remboursement forfaitaire de ses dépenses de campagne.

La Cour relève, ensuite, que la loi organique de 1995 ne saurait en aucun cas être interprétée comme donnant au requérant une créance sur l'Etat : ses dispositions relatives aux conditions dans lesquelles les candidats peuvent prétendre, jusqu’à un certain plafond, au remboursement de leurs frais de campagne sont en effet sans aucune équivoque, puisque le remboursement n'est effectué qu'aux candidats dont le compte de campagne est approuvé par le Conseil Constitutionnel.

Enfin, en ce qui concerne l'allégation du requérant selon laquelle il se verrait abusivement privé de sa propriété en raison du fait que l'Etat a engagé des poursuites contre lui pour obtenir, sur son patrimoine personnel, le remboursement de l'avance d'un million de francs, la Cour estime que ces poursuites, par lesquelles l'Etat, en tant que créancier d'une somme d'argent, essaie d'obtenir le remboursement d'une somme indûment perçue, ne sauraient être considérées comme une ingérence dans le droit au respect des biens du débiteur de la somme en question, une dette n'étant pas susceptible d'être considérée comme un « bien », au sens de l'article 1 du Protocole N° 1.

La même conclusion s'impose pour ce qui concerne le remboursement par le requérant du prêt personnel qu'il avait contracté pour financer sa campagne électorale et également pour les divers prêts, qui lui avaient été consentis sans intérêts par des personnes physiques, et que le requérant serait prétendument dans l'obligation de rembourser sur ses deniers personnels.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention.

4.  Le requérant se plaint enfin de ne pas avoir bénéficié d'un recours effectif devant une instance nationale et invoque l'article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

La Cour rappelle que le droit reconnu par cette disposition ne peut être exercé que pour des griefs défendables au sens de la jurisprudence des organes de la Convention (N° 28204/95, déc. 4.12.95, D.R 83, p. 112). Or, ne sauraient passer pour défendables des griefs que la Cour a rejetés, en l'espèce, comme ne révélant aucune apparence de violation de la Convention ou comme étant incompatibles avec ses dispositions.

Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

S.DOLLE     N. BRATZA

Greffière        Président

Ne mettre que les initiales si non public ; prénom et, en majuscules, le nom de famille ; nom corporatif en majuscules ; pas de traduction des noms collectifs.


Première lettre du pays en majuscule. Mettre l’article selon l’usage normal de la langue.


En minuscules.


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